Les arts au lycée Louis Feuillade

Arts Plastiques et Cinéma-Audiovisuel

L’écriture dans l’art
En complément de l’exposition du FRAC 2015 sur l’écriture

Le champ des arts visuels va établir rapidement au 20 ème siècle de nouveaux rapports avec l’écriture. Pendant longtemps, dans la lignée de «ut pictura poesis» d’Horace,  la peinture était considérée comme une poésie muette (et la poésie une peinture parlante comme l’affirmait Simonide de Céos dès le 5ème siècle avant JC). Dans les « mots dans la peinture » Michel Butor retrace très bien l’histoire les diverses formes et fonctions de l’écriture dans la peinture occidentale.
Contrairement aux artistes des siècles précédents, les artistes du début du 20 ème siècle pouvaient échapper à l’histoire de l’art (ses œuvres et ses théories) pour alimenter leurs démarches artistiques. Loin de la rigueur académique, leurs sources étaient proches du quotidien et des nouvelles considérations esthétiques du moment. Pour faire surgir l’écriture dans une œuvre, ils n’ont pas puisé, par exemple, dans le mystère de l’épitaphe « des bergers d’acardie » de Poussin  mais dans les textes des journaux ou dans les objets manufacturés pour exploiter autant le signe formel que son signifié. Lisibilité et visibilité vont se chevaucher, se croiser et s’opposer de manière très diverse et innovante.

Dans les œuvres du 20 ème (et du 21 ème), on repère 4 manières différentes d’utiliser l’écriture :

L’écriture utilisée dans son sens premier : comme système de signes graphiques permettant de noter un message oral ou une pensée pour le conserver et le transmettre.
L’écriture considérée principalement au niveau strict du signe (signifiant / signifié) sans message particulier.
L’écriture comme signe purement signifiant qui reste au stade de son enveloppe formelle et visuelle.
L’écriture considérée comme transcription de l’idée, du concept.

A partir de quelques exemples significatifs et singuliers on peut pour illustrer ces différentes manières d’utiliser l’écrit. Une ouvre d’art est comme une poupée russe. Quand on commence à l’approfondir, à la démonter, etc. on ouvre de nouvelles portes secrètes qui nous engagent dans toutes sortes de significations inattendues.

L’écriture aux résonances multiples.
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Puisque, elle a été citée, cela concerne « Les bergers d’Arcadie » de Poussin. Des bergers devant une tombe lisent une épitaphe : « Et in Arcadia Ego ». Cette locution latine fréquente dans la peinture est un « memento mori » (souviens toi que tu es mortel).
Mais depuis l’époque de Poussin tout un mystère persiste sur la signification réelle de cette phrase.
S’adresse-elle à la mort ou au mort ? La phrase semble incomplète (pas de verbe conjugué)
L’Arcadie dans l’antiquité était un pays de bergers vivant en harmonie avec la nature. A la renaissance cette terre mythique de bergers, chantée par les poètes, était le lieu du bonheur loin des souffrances. Et pourtant même en Arcadie il y a la mort…

Nicolas Poussin - Les bergers d'Arcadie Et in Arcadia ego - 1638-1640

L’œuvre « Blue Red Yellow » de Jasper Johns est construite à partir d’un phénomène illusionniste bien connu causé par le conflit du cerveau gauche-droit.
Le cerveau droit s'attache plus particulièrement à la perception des formes et des couleurs, quand le cerveau de gauche, plus logique, perçoit les mots et leur signification.
Ainsi, lorsqu'on lit les mots du tableau de Jasper Johns, notre cerveau droit essaie de dire la couleur pendant que notre cerveau gauche s'obstine à lire les mots. Ce conflit crée alors une confusion dans la perception et l'énonciation du mot.

Jasper Johns «Periscope - Hart Crane » 1963
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Dans ses écrits (titres ou mots dans le l’œuvre) Marcel Duchamp embarque souvent le spectateur dans une aventure singulière.
« Fresh Widow » (la veuve fraîche) de 1912 prend tout son sens lorsqu’on va bien au-delà du jeu de mot premier qui évoque une « French Window » ou « fenêtre à la française ». Ce type de fenêtre qui s’ouvre latéralement s’oppose à une fenêtre à guillotine qui fonctionne verticalement. Mais pourquoi « widow » (veuve) car c’est tout simplement le surnom donnée à la triste guillotine !
Une autre œuvre de Duchamp L.H.O.O.Q (la Joconde à moustaches) nous emmène dans l’univers freudien et un souvenir d’enfance de Vinci qui se manifesterait dans son tableau « Sainte Anne, la vierge et l’enfant ».

Marcel Duchamp - Fresh Widow 1920
Le signe, pour sa forme, sa matière, sa textualité..
Les cubistes et les dadaistes vont largement utiliser les collages de lettres, de mots, de fragments de journaux. Les assemblages typographiques ne dégagent pas toujours un sens précis.
C’est le cas par exemple de Picasso qui dans ses œuvres cubistes va multiplier les lettrages peints, les collages de journaux, les mots tronqués, etc.
L’écriture est un objet comme un autre qui se combine avec d’autres éléments jusqu’alors étrangers à l’art.

Picasso « Guitare » 1913
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D’autres en revanche, comme Raoul Hausmann, la matière écriture au-delà de la première approche visuelle révèle est chargée de sens.

Dans « Elasticum, » (1920) il a construit une image avec des collages de lettres et d’images diverses pour dénoncer la production en série, qui exclut l’humain mais profite au col blanc. L’artiste a accumulé des engrenages, des boutons, des roues, un compteur de vitesse et, à première vue, des lettres apparemment pour leur valeur graphique. Peu à peu les écrits les révèlent et libèrent du sens : Merde, PIPICABIA et ARPOPO, allusions scatologiques créées à partir des noms des dadaïstes Picabia et Arp.

Raoul Hausmann « Elasticum » 1920
Alighiero e Boetti, dans les années 80 déléguera à des brodeuses agfanes la réalisation de tapisseries représentant des damiers de lettres qui semblent dégager rien d’autre que leur éclatante dimension colorée. Pourtant, il s’agit parfois de mots italiens, afghans, persans cachés par la dimension « all over » des œuvres.

Alighiero e Boetti - Jaguri Afghanistan, 1988
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L’écriture pour montrer idée, le concept
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Une grande partie de l’œuvre de Ben (Benjamin Vautier) - l’un des plus grands admirateurs de Duchamp - est constituée d’écritures manuscrites blanches sur fond noir. Il les applique aussi bien sur tableaux que sur des objets de consommation courante.
Ce sont des invectives, des commentaires sur l’art, des mots de tous les jours, des slogans plein d’humour, etc… qui plongent souvent le spectateur / lecteur dans une réflexion inattendue.

Ben « Attention cette boite » 1966
L’œuvre de Lawrence Weiner repose sur des phrases peintes sur un mur selon un descriptif de réalisation précis. L’œuvre presque purement littéraire (quelques signes et traits surgissent parfois) a une double existence : celle qui se voit sur le mur (le temps d’une exposition) et celle qui réside dans le descriptif qui permet rendre visible l’œuvre sur le mur.
Léonard de Vinci affirmait que « La pittura e cosa mentale » (La peinture est une chose de l'esprit)

Lawrence Weiner DUST and WATER PUT SOMEWHERE - BETWEEN THE SKY AND THE EARTH 1990
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Dès le départ, l’écriture tient un rôle déterminant dans l’œuvre de Joseph Beuys. En pleine période nazie, il rencontre l’art en sauvant d’un autodafé un livre sur le sculpteur Wilhelm Lehmbrück. Ses nombreuses réflexions sur le dessin vont impliquer l’écriture :
« … écrire c’est aussi dessiner. Si on regarde juste un peu ce que fait la main, ces drôles de formes, c’est aussi du dessin ».
Au cours de conférences publiques, il réalise des « diagrammes » à la craie sur un tableau, évoquant son expérience de professeur d’art, sa conception d’une « sculpture sociale » et ses idéaux sur la construction d’une communauté mondiale libre et démocratique.

Joseph Beuys - sans titre (tableau) 1973
Joseph Kosuth, comme Marcel Duchamp et Joseph Beuys, s’est engagé dans des démarches qui ont fortement marqué l’art du 20 ème. Son œuvre « one and three chairs » est considéré comme l’un des tournants majeur de l’histoire de l’art. La question n’est plus de savoir quel est la fonction d’une œuvre d’art et qui décide de son statut mais quelle est la valeur des concepts, des idées dans la détermination de l’art. Dans « one and three chairs » Kosuth expose la dimension sémantique évidente de l’œuvre d’art : un signe (la chaise), un signifié (la photo) et un signifiant (la définition).

Joseph Kosuth, One and Three Chairs, 1965
Patrick Perrotte - Novembre 2015
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