Les arts au lycée Louis Feuillade

Arts Plastiques et Cinéma-Audiovisuel

Esprits êtes-vous là ?
Exposition du FRAC 2014

Visions, illusions, spectres, ombres ou phénomènes lumineux,
l’idée des apparitions est donc de retour dans les espaces de Musidora.
Après «Les revenants», exposition d’anciens élèves devenus artistes plasticiens, voici une sélection d’œuvres du Fonds Régional d’Art Contemporain du Languedoc Roussillon:
«Esprits, êtes-vous là ?»


L’actuelle exposition en l’espace Musidora, à partir d’œuvres prêtées par le FRAC L-R, présente l’un des plus grands photographes de tous les temps, deux peintres dont un philippin reconnu dans le monde entier, en tout cas de la frange du monde entier qui s’intéresse à l’art dit contemporain, un jeune installateur français qui recourt au volume, pour ne pas dire le mot sculpteur, enfin une jeune vidéaste italienne qui crache dans la soupe des institutions et du milieu de l’art mais c’est sans doute pour lui donner un peu de goût.
Commençons par Man Ray : neuf photos en argentique, des années 20 et 30, dont certaines très célèbres, de format modeste, comme l’on en faisait à l’époque, et qui chacune suppose une pose très travaillée réclamée au modèle, sur fond neutre, ce qui donne l’impression que ceux-ci surgissent du néant – de manière surréelle donc. Les deux premières recourent à l’association d’objets, et d’êtres, selon une technique surréaliste bien connue, et que les élèves de TL peuvent retrouver dans les dessins de Man Ray illustrés par Eluard, et qui forment le recueil Les mains libres, au programme cette année encore de l’épreuve de Littérature du Baccalauréat. Pour la première, il s’agit d’une jeune femme, ni jolie ni particulière, mais entourée d’objets énigmatiques qui focalisent notre attention : une main de plâtre dans la paume de laquelle se love une boule de cristal, comme si la jeune personne s’interrogeait sur son devenir ; un buste en plâtre du photographe dans le dos, figure tutélaire la saisissant de son regard pour l’éternité ; un polyèdre de verre réfléchissant et une main gantée dressée vers le ciel, comme une demande d’idéal ou d’absolu. La deuxième fait se jouxter une tête féminine de plâtre, manifestement inspirée de l’antique, mais maquillée et parée, sans doute la figure de l’éternel féminin cher à Man Ray, dont le corps se continue en manche de violoncelle et se résout en socle supportant une poire… Le fruit du désir à savourer, dans son aspect éphémère et périssable, est donc conjugué à l’intemporel – on est dans la fonction de l’art en général et de l’art photographique en particulier. Ensuite, on a affaire à une série de « solarisations ». Man Ray a beaucoup utilisé cette technique d’exposition prématurée du négatif à la lumière qui a fasciné ses amis surréalistes parce qu’elle donnait une autre apparence à la réalité, inversant en particulier les valeurs (le noir devient blanc), et permettant certains effets tirant vers le merveilleux si prisé par les membres du groupe. Ainsi, du portrait du mannequin Natascha, dans une pose de dormeuse debout, nimbée d’un halo lumineux qui épouse ses formes et la rend surnaturelle. Aussi de celui d’un athlète en chaussettes, encore un moyen de faire se conjuguer l’éphémère d’une apparence à l’éternité de son image fixée sur le papier sensible, l’antique et le moderne, les deux grandes composantes de l’art. Man Ray travaille énormément sur l’ombre et la lumière modelant les corps, éclairant les visages de façon à en dégager soit la pureté, soit au contraire la dualité, l’ambiguïté ou au contraire le côté sombre, inquiétant. Comme dans la dernière solarisation : un autoportrait de Man Ray, l’homme qui a représenté de dos la célèbre Kiki de Montparnasse en violon d’Ingres, avec les ouïes de l’instrument à la hauteur des reins. Le manche de violoncelle qu’il semble contempler, et dont les clés ont été remplacées par des lampes, est donc le symbole de ces femmes avec qui le photographe aimait tant à jouer, avec son appareil s’entend et qui sont passées devant son objectif. On passe ensuite à un portrait très célèbre de Marcel Duchamp, l’inventeur du « ready made » et le précurseur de l’art contemporain, mais en Rrose Selavy, à savoir en travesti. Le thème du double, depuis la découverte de l’inconscient, ne pouvait que fasciner un amateur de jeu (d’échecs notamment) tel que le fut Duchamp. Le portrait suivant est assez énigmatique pour ne pas dire à clé. Il s’agit de la compagne de Picasso, Dora Maar, dont Man Ray aimait le visage mélancolique ou douloureux (C’est elle, la Femme qui pleure !). Le visage, tel un masque éclairé au regard mystérieux, sans doute un peu pervers, est encadré par une main à l’annulaire bagué qui couvre son front, peut-être la sienne, tandis que deux minuscules menottes avec bracelet apparaissent du côté du menton. Sans doute une interprétationn de la situation de Dora Maar à cette époque, anxieuse des frasques de son mari (on peut ire qu’elle en a marre !) et sans doute déterminée à partir… La juxtaposition mains en porcelaine, visage et doigts féminins réels relève d’un autre type d’assemblage surréaliste, proche du Cadavre exquis. Les deux dernières photographies sont intéressantes parce qu’elles montrent l’ampleur des expériences réalisées par le photographe : un cou humain pris en contre-plongée, étiré à l’extrême, et volontairement flou, partant onirique, devient à la fois monstrueux, asexué et sans doute aussi pornographique ! Un clin d’œil du facétieux photographe, érotomane et amateurs de belles femmes s’il en fut. La dernière propose à la fois un effet de miroir, une structure de jeu de cartes en chiasme et un effet de surimpression propice au rêve. Il s’agit d’une accordéoniste, tantôt rêveuse, tantôt souriante, dont l’instrument, dédoublé ne manque pas de souffle ni d’envergure. Elle incarne sans doute une autre figure de la féminité, plus populaire mais surtout au fond, le symbole même, populaire et dynamique, de la ville même de Paris, propice à la rencontre et l’aventure surréalistes.
Difficile à côté d’un tel maître de rivaliser en chefs d’œuvre. Or les deux films de Laura Papérina assurent une certaine continuité avec l’esthétique dada qui consistait avant tout à détruire, à tourner en dérision, à se débarrasser d’un passé devenu écrasant et sujet à critique. Dans ses courts dessins animés, elle prend quelques figures de l’art contemporain parmi les plus célèbres, les parodie jusqu’à les détruire : qu’il s’agisse de Joseph Beuys, tout de feutre protégé, dévoré par le coyote qu’il a prétendu dompter, du scandaleux Paul Mac Carthy, foudroyé en même temps que l’arbre qu’il a tenté de sodomiser, de Gina Pane, adepte du body art découpée en tranches par son propre rasoir, ou de Bill Viola en corps combustible, victime des feux qu’il a allumés. Le tout montré sur un vieil écran de télévision car la plupart de ces artistes sont associés à des décennies antérieures. Dans sa deuxième vidéo, la jeune italienne raconte une histoire plus continue, plus suivie, où la plupart des ténors du milieu de l’art et Stéphan Spielberg lui-même, sont chacun son tour dévorés (par Godzilla, par le requin des Dents de la mer, par E.T. etc. jusqu’à l’apocalypse finale après destruction des musées new yorkais, le tout sorti du cerveau explosif de l’artiste. C’est drôle, haut en couleurs, assorti de remarques enfantines dans une volonté de désacraliser l’art contemporain.
Dans la même pièce, deux toiles de Manuel Ocampo où l’on sent la volonté de mêler sur le même plan des figures diverses, sans souci de logique perspectiviste, comme si l’artiste philippin avait voulu associer une conception occidentale de l’art avec respect du tableau et de ses composantes, avec une vision plus primitive, plus libre. Sur la première toile on identifie une figure funèbre et grotesque de la Liberté à l’américaine mais aussi une sorte de virus à chapeau caricaturant le grand capital. Le tout accompagné au premier plan d’une vanité en forme de crâne qui rappelle le caractère éphémère des biens terrestres. La deuxième mêle des citations d’images réalistes style « petit bourgeois » » à des vaisseaux sanguins ou à des plongées dans l’univers microbien et microscopique, en vertu du fait qu’un tableau n’est qu’une surface où tout peut se jouxter sur le même plan. Ca ne se prétend pas raffiné, on est là plutôt dans « la bad painting », mais l’enfance mêle dans ses images ce qui, dans la logique de l’adulte, deviendrait impossible. Et les philippins sont les nouveaux enfants du monde de l’art en train de se mondialiser.
Dans la deuxième pièce, deux peintures de Luc Andrié, chacune représentant un personnage. Celui de gauche, à la physionomie indécise, semble vouloir crever la surface du tableau afin de nous rejoindre. Mais il demeure prisonnier du tableau qui l’a vu naître. La couleur est traitée en grandes zones tonales, la créature n’existe que par elles, qui en dessinent les contours. On a du mal à identifier le sexe, c’est sans doute voulu par le peintre. On a l’impression que l’interrogation est d’ordre métaphysique, comme dans les œuvres de Bacon par exemple, mais avec une économie de moyens accentuée. On sent un frémissement de retour à la peinture chez les plus lucides des jeunes artistes d’aujourd’hui. Il faut dire qu’ils ont compris depuis belle lurette, qu’elle était suffisamment souple et plastique pour tout englober des moyens modernes qui voudraient la maintenir dans le placard à souvenirs. L’autre tableau est un autoportrait, en deux trois couleurs à peine, dont un rose et un bleu, les couleurs de l’enfant à naître. E i cet enfant était la peinture même en voie de résurrection ? L’artiste y sourit, à lui-même face à son miroir ou face à nous. Les deux toiles sont donc en très net contraste. La peinture qui rit ou sourit à l’avenir, et la peinture qui s’impatiente et qui souffre de sa solitude.
C’est ce sourire qu’a récupéré le dernier artiste, Denis Savary, dans son installation faite de bustes déclinant le visage de son maître, Luc Andrié. Les bustes en plâtre ne sont pas alignés, ils ne sont pas posés solennellement sur quelque cheminée de salon bourgeois : ils sont dans un certain ordre ou désordre assemblés, bouleversant nos idées reçues en matière de sculpture. A l’unique se substitue le pluriel, le modèle ancien inscrit un sourire temporaire dans la matière pérenne, et la mise en tas remplace l’érection statuaire.
Et les esprits dans tout ça ? Ils hantent les toiles d’Ocampo comme les visages fantomatiques de Luc Andrié (et ses avatars sculpturaux chez Savary), ils ressurgissent dans le dessin de Paperina et surtout ils ressuscitent dans les halos lumineux de Man Ray, et ses combinaisons oraculaires.

BTN